Un jour reconnaissant que je suis incapable
Un jour reconnaissant que je suis incapable,
Belle, de vous servir, j'en vins au désespoir,
Et prenant le chemin du désert effroyable,
Je voulus m'y cacher pour jamais ne rien voir.
C'est bien avoir des yeux de voir ce qui s'adresse,
Et de le discerner. Mais voir parfaitement
Est voir le jour heureux des yeux de sa maîtresse,
Car c'est voir sans rien voir que de voir autrement.
Pour donques ne rien voir, j'élus un ermitage
Pour le lieu destiné du reste de mes jours,
Et me déterminant dans sa grotte sauvage,
J'y pensais consumer ma vie et mes amours.
Je me déterminais à cette vie austère
Afin d'être puni de ma témérité.
Et cherchant à ma vie une vie contraire,
J'étais à ce dessein ardemment arrêté.
Déjà je lamentais sur ma vie passée,
Dessous le triste habit voulant m'ensevelir,
Et de dévotion mon âme tant pressée
Voulait tout autre soin de mon coeur abolir.
J'estimais que ce monde était une balote
Formée de savon, figurée de vent,
Et voulant l'oublier, ma pensée dévote
En ma dévotion m'enfonçait plus avant.
J'étais presque réduit par cette déplaisance,
Et pensais résigner au désert mon vouloir,
Et comme n'ayant plus dessus moi de puissance,
Tout mon penser était religieux devoir.
Mais comme je cuidais franchir cette barrière,
Je sentis mille feux en mon coeur s'allumer,
Et pour y résister je me mis en prière,
Et les éteignis tous fors le doux feu d'aimer...
Je n'irai plus tracer après le triste ombrage
De ces lieux écartés où se meurt tout plaisir,
Par des desseins plus beaux, je veux que mon courage
Rende l'effet égal à mon brave désir...
Les poèmes de Béroalde de Verville
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