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Tableau de Paris (A cinq heures du soir) de Marc-Antoine-Madeleine Désaugiers

Tableau de Paris (A cinq heures du soir)

En tous lieux, la foule
Par torrents s'écoule ;
L'un court, l'autre roule ;
Le jour baisse et fuit ;
Les affaires cessent,
Les dîners se pressent,
Les tables se dressent,
Il est bientôt nuit.

Là, je devine
Poularde fine,
Et bécassine,
Et dindon truffé ;
Plus loin je hume
Salé, légume,
Cuits dans l'écume
D'un boeuf réchauffé.

Le sec parasite
Flaire... et trotte vite
Partout où l'invite
L'odeur d'un repas ;
Le surnuméraire
Pour vingt sous va faire
Une maigre chère
Qu'il ne payera pas.

Plus loin, qu'entends-je ?
Quel bruit étrange
Et quel mélange
De tons et de voix !
Chants de tendresse,
Cris d'allégresse,
Chorus d'ivresse
Partent à la fois.

Les repas finissent ;
Les teints refleurissent ;
Les cafés s'emplissent ;
Et trop aviné,
Un lourd gastronome
De sa chute assomme
Le corps d'un pauvre homme
Qui n'a pas dîné.

Le moka fume,
Le punch s'allume,
L'air se parfume ;
Et de crier tous :
« Garçons, ma glace!
- Ma demi-tasse !...
- Monsieur, de grâce,
Paris, après vous.

Les journaux se lisent;
Les liqueurs s'épuisent ;
Les jeux s'organisent ;
Et l'habitué,
Le nez sur sa canne,
Approuve ou chicane,
Défend ou condamne
Chaque coup joué.

La tragédie,
La comédie,
La parodie,
Les escamoteurs,
Tout jusqu'au drame
Et mélodrame,
Attend, réclame
L'or des amateurs.

Les quinquets fourmillent ;
Les lustres scintillent ;
Les magasins brillent ;
Et, l'air agaçant,
La jeune marchande
Provoque, affriande
Et de l'oeil commande
L'emplette au passant.

Des gens sans nombre
D'un lieu plus sombre
Vont chercher l'ombre
Chère à leurs desseins.
L'époux convole,
Le fripon vole,
Et l'amant vole
A d'autres larcins.

Jeannot, Claude, Blaise,
Nicolas, Nicaise,
Tous cinq de Falaise
Récemment sortis,
Élevant la face,
Et cloués sur place,
Devant un paillasse
S'amusent gratis.

La jeune fille,
Quittant l'aiguille,
Rejoint son drille
Au bal de Luquet ;
Et sa grand'mère
Chez la commère
Va coudre et faire
Son cent de piquet.

Dix heures sonnées,
Des pièces données
Trois sont condamnées
Et se laissent choir.
Les spectateurs sortent,
Se poussent, se portent...
Heureux, s'ils rapportent
Et montre et mouchoir.

« Saint-Jean, la Flèche,
Qu'on se dépêche...
Notre calèche !
Mon cabriolet ! »
Et la livrée,
Quoique enivrée,
Plus altérée
Sort du cabaret.

Les carrosses viennent,
S'ouvrent et reprennent
Leurs maîtres qu'ils mènent
En se succédant ;
Et d'une voix acre,
Le cocher de fiacre
Peste, jure et sacre
En rétrogradant.

Quel tintamarre !
Quelle bagarre !
Aux cris de gare
Cent fois répétés,
Vite on traverse,
On se renverse,
On se disperse
De tous les côtés.

La soeur perd son frère,
La fille son père,
Le garçon sa mère
Qui perd son mari ;
Mais un galant passe,
S'avance avec grâce,
Et s'offre à la place
De l'époux chéri.

Plus loin, des belles
Fort peu rebelles,
Par ribambelles,
Errant à l'écart,
Ont doux visage,
Gentil corsage...
Mais je suis sage...
D'ailleurs il est tard.

Faute de pratique,
On ferme boutique.
Quel contraste unique
Bientôt m'est offert !
Ces places courues,
Ces bruyantes rues.
Muettes et nues,
Sont un noir désert.

Une figure
De triste augure
M'approche et jure
En me regardant...
Un long qui vive !
De loin m'arrive
Et je m'esquive
De peur d'accident.

Par longs intervalles,
Quelques lampes pâles.
Faibles, inégales,
M'éclairent encore...
Leur feu m'abandonne.
L'ombre m'environne;
Le vent seul résonne :
Silence !... tout dort.

Les poèmes de Marc-Antoine-Madeleine Désaugiers

 

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