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Satire III de Mathurin Régnier

Satire III

Sans parler, je t'entends : il faut suivre l'orage ;
Aussi bien on ne peut où choisir avantage ;
Nous vivons à tâtons et, dans ce monde ici,
Souvent avec travail on poursuit du souci ;
Car les dieux courroucés contre la race humaine
Ont mis avec les biens les sueurs et la peine.
Le monde est un berlan où tout est confondu
Tel pense avoir gagné qui souvent a perdu,
Ainsi qu'en une blanque où par hasard on tire,
Et qui voudrait choisir souvent prendrait le pire.
Tout dépend du Destin, qui sans avoir égard
Les faveurs et les biens en ce monde départ.

Mais puisqu'il est ainsi que le sort nous emporte,
Qui voudrait se bander contre une loi si forte ?
Suivons donc sa conduite en cet aveuglement.
Qui pèche avec le ciel pèche honorablement.
Car penser s'affranchir c'est une rêverie ;
La liberté par songe en la terre est chérie :
Rien n'est libre en ce monde et chaque homme dépend,
Comtes, princes, sultans, de quelque autre plus grand.
Tous les hommes vivants sont ici bas esclaves,
Mais, suivant ce qu'ils sont, ils diffèrent d'entraves,
Les uns les portent d'or et les autres de fer ;
Mais n'en déplaise aux vieux, ni leur philosopher,
Ni tant de beaux écrits qu'on lit en leurs écoles,
Pour s'affranchir l'esprit ne sont que des paroles.
Au joug nous sommes nés et n'a jamais été
Homme qu'on ait vu vivre en pleine liberté.

En vain me retirant enclos en une étude
Penserai-je laisser le joug de servitude ;
Étant serf du désir d'apprendre et de savoir,
Je ne ferais sinon que changer de devoir.
C'est l'arrêt de Nature et personne en ce monde
Ne saurait contrôler sa sagesse profonde.

Puis que peut-il servir aux mortels ici bas,
Marquis, d'être savant ou de ne l'être pas,
Si la science pauvre, affreuse et méprisée,
Sert au peuple de fable, aux plus grands de risée ;
Si les gens de latin des sots sont dénigrés
Et si l'on est docteur sans prendre ses degrés ?
Pourvu qu'on soit morguant, qu'on bride sa moustache,
Qu'on frise ses cheveux, qu'on porte un grand panache,
Qu'on parle baragouin et qu'on suive le vent,
En ce temps d'aujourd'hui l'on n'est que trop savant.

Du siècle les mignons, fils de la poule blanche,
Ils tiennent à leur gré la fortune en la manche,
En crédit élevés, ils disposent de tout,
Et n'entreprennent rien qu'ils n'en viennent à bout.
Mais quoi, me diras-tu, il t'en faut autant faire ;
Qui ose a peu souvent la fortune contraire ;
Importune le Louvre et, de jour et de nuit,
Perds pour t'assujettir et la table et le lit ;
Sois entrant, effronté, et sans cesse importune :
En ce temps l'impudence élève la fortune.

Il est vrai, mais pourtant je ne suis point d'avis
De dégager mes jours pour les rendre asservis
Et sous un nouvel astre aller, nouveau pilote,
Conduire en autre mer mon navire qui flotte
Entre l'espoir du bien et la peur du danger
De froisser mon attente en ce bord étranger.

Car pour dire le vrai c'est un pays étrange,
Où comme un vrai Protée à toute heure on se change,
Où les lois, par respect sages humainement,
Confondent le loyer avec le châtiment
Et pour un même fait, de même intelligence,
L'un est justicié, l'autre aura récompense.
Car selon l'intérêt, le crédit ou l'appui,
Le crime se condamne et s'absout aujourd'hui.
Je le dis sans confondre en ces aigres remarques
La clémence du Roi, le miroir des monarques,
Qui plus grand de vertu, de coeur et de renom,
S'est acquis de clément et la gloire et le nom.

Or, quant à ton conseil qu'à la cour je m'engage,
Je n'en ai pas l'esprit, non plus que le courage.
Il faut trop de savoir et de civilité,
Et si j'ose en parler trop de subtilité ;
Ce n'est pas mon humeur, je suis mélancolique,
Je ne suis point entrant, ma façon est rustique,
Et le surnom de bon me va-t-on reprochant,
D'autant que je n'ai pas l'esprit d'être méchant.
Et puis je ne saurais me forcer ni me feindre ;
Trop libre en volonté je ne me puis contraindre ;
Je ne saurais flatter et ne sais point comment
Il faut se taire accort ou parler faussement. [...]

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