De la misère de l'homme et fragilité de la vit humaine
Mais que suis-je, bon Dieu,
D'oser parler à toi, réduit en ce bas lieu?
Pardonne-moi,
Seigneur, lasl épargne-moi, Sire,
Je suis fils du péché, enfant de mort et d'ire,
Homme né de la femme et vivant peu de temps,
Sujet à plusieurs maux qui malheurent mes ans,
Homme, dis-je, chétif, aux bêtes comparable,
Voire dès maintenant fait à elles semblable;
Homme de vanité! que suis-je derechef
Hormis un rendez-vous d'infortune et méchef ?
Un ténébreux abîme, une terre inféconde,
Instrument convenable aux opprobres du monde?
Né de corruption qui, vivant en tourment,
En misère et douleur, mourrai pareillement,
Que suis-je, misérable, en cette mer bouillante?
Chétif, que deviendrai-je ? un vase de fiente,
Un pot de pourriture, infect de puanteur,
Aveugle, pauvre, nu, inconstant, et menteur,
Endurant chaque jour mille peines funèbres,
Jusqu'à temps que mes yeux soient cillés de ténèbre,
Hâve, pâle, et plombé de peine et de souci,
Ignorant son entrée et son issue aussi,
Misérable et mortel dont la vie importune
S'évanouit plus tôt que l'ombre de la lune,
Croît, comme fait la fleur qui fleurit maintenant,
Puis fanit tout soudain et meurt incontinent.
Voilà comme la vie est inconstante et pleine
D'ennuis et de travaux, variable et peu saine,
Laquelle d'autant plus qu'elle va s'avançant,
D'autant plus à la mort elle se va lançant.
Tantôt l'air l'empoisonne et l'ardeur la dessèche,
Le jeûne l'amaigrit, la viande l'empêche,
La tristesse la ronge et la joyeuseté
La dissipe et dissout, tantôt la sûreté
L'hébète et lui déplaît, la pauvreté l'abaisse,
La richesse et l'orgueil la relève et redresse.
Vieillesse la détruit, jeunesse l'entretient,
Et le soin ménager en angoisse la tient.
Mais combien qu' elle soit si muable en son être
Que souventefois même elle se fait connaître À ses fols amateurs dont les cerveaux troublés
Sont d'un nuage épais d'ignorance aveuglés,
Toutefois elle enivre une innombrable troupe
Du vin calabrié ' qu'elle tient en sa coupe
Faite d'or émaillé, charmant subtilement
De sa douce poison les yeux du jugement.
Telle, telle est,
Seigneur, ta sage prévoyance
Qui, pour nous surhausser devers la sapience
De ta divinité, du monde mensonger
Nous a rendu l'état volage et passager.
Les poèmes de Jean-Baptiste Chassignet
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Citations de Jean-Baptiste Chassignet