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Chanson de Jean de La Taille

Chanson

C'est trop pleuré, c'est trop suivi tristesse,
Je veux en joie ébattre ma jeunesse,
Laquelle encor comme un printemps verdoie :
Faut-il toujours qu'à l'étude on me voie ?
C'est trop pleuré.

Mais que me sert d'entendre par science
Le cours des cieux, des astres l'influence,
De mesurer le ciel, la terre et l'onde,
Et de voir même en un papier le monde ?
C'est trop pleuré.

Que sert pour faire une rime immortelle
De me ronger et l'ongle et la cervelle,
Pousser souvent une table innocente
Et de ternir ma face pâlissante ?
C'est trop pleuré.

Mais que me sert d'ensuivre en vers la gloire
Du grand Ronsard, de savoir mainte histoire,
Faire en un jour mille vers, mille et mille,
Et cependant mon cerveau se distille ?
C'est trop pleuré.

Cependant l'âge en beauté fleurissante
Chet comme un lis, en terre languissante,
Il faut parler de chasse et non de larmes,
Parler d'oiseaux, et de chevaux et d'armes :
C'est trop pleuré.

Il faut parler d'amour et de liesse,
Ayant choisi une belle maîtresse ;
J'aime et j'honore et sa race et sa grâce,
C'est mon Phoebus, ma Muse et mon Parnasse
C'est trop pleuré.

Digne qu'un seul l'aime et soit aimé d'elle,
Lui soit époux, ami et serf fidèle,
Autant qu'elle est sage, belle et honnête,
Qui daigne bien de mes vers faire fête :
C'est trop pleuré.

Va-t'en, chanson, au sein d'elle te mettre,
A qui l'honneur (qui ne me doit permettre
Telle faveur) est plus cher que la vie.
Ha ! que ma main porte à ton heur d'envie !
C'est trop pleuré.

Les poèmes de Jean de La Taille

 

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